Aujourd'hui, nous partons en Suisse, à la rencontre de Magdalena MEYER. C'est ici qu'elle s'est installée en tant que cuisinière. Nous sommes le 18 juin 1906 et dans moins de trois semaines, elle sera mariée.
Dans une lettre, je lui ai expliqué que j'écrivais un livre sur la famille. Très intéressée, elle m'a donné rendez-vous chez elle pendant son jour de repos. Me voilà donc arrivée avec mon bloc notes au Brassus, commune suisse, à la frontière du Jura français.
- Bonjour Aline.
- Bonjour Magdalena, merci pour votre invitation. Je vous félicite pour votre futur mariage. Vous serez très heureuse avec votre époux et aurez sûrement plusieurs enfants. (ne pas trop lui en dire Aline)
- Votre lettre m'a beaucoup intriguée, j'aimerais en savoir plus sur ce livre, qu'écrivez-vous exactement ?
- J'essaie d'interroger les parents de mes enfants et de retranscrire nos conversations pour que nos descendants nous gardent dans leur mémoire.
- Quelle belle idée ! Dites moi tout, que voulez-vous savoir ? demande-t-elle en me servant un thé.
- J'aimerais en savoir un peu plus sur votre enfance, comment l'avez-vous vécu, où, avec qui ?
- Eh bien, je suis née à Colmar, en Alsace, le 9 juin 1881. Je n'ai jamais connu mon père et ma mère ne m'a jamais parlé de lui. Maman était ouvrière d'usine à cette époque. Depuis combien de temps, je ne sais pas ! Était-elle déjà installée ici quand elle m'a conçue ou habitait-elle encore chez son père à Turckheim ? Mon père était-il de son village natal ou de Colmar ? L'ai-je déjà croisé ? Le connaissais-je ? Suis-je né dans l'amour ou cet homme a t'il abusé d'elle ? Beaucoup de questions qui malheureusement se sont envolés avec le décès de ma mère.
Maman ne s'est jamais mariée, nous avons vécu toutes les deux, je n'avais ni frère, ni sœur. Elle n'avait plus de liens avec sa famille. Son père, Anton, est décédé sept mois avant ma naissance. A ce que je sais, il était très pauvre. Sa mère, Marie Joséphine, elle ne l'avait presque pas connue, elle est décédée quand maman était toute petite. Je ne sais que peu de choses sur mes grands parents, lui était vigneron puis ouvrier dans une fabrique(1) et elle servante. Ils étaient catholiques, il est d'ailleurs possible que mon grand-père ait très mal vécu l'annonce de la grossesse de maman.
Mon enfance s'est passée normalement je dirais, mis à part que j'ai grandi sans père, ça m'a beaucoup manqué. A l'école, on me demandait souvent où était mon père. Alors je racontais des histoires, de peur de perdre mes amis et aussi pour imaginer, moi, qui il pourrait être. Je n'en ai jamais parlé avec maman, je n'osais pas, je me disais qu'elle devait assez être malheureuse comme ça.
J'ai quitté Colmar dès que j'ai pu, je n'étais pas à l'aise avec les personnes qui m'entouraient, beaucoup avaient compris ou avaient su que je n'avais pas de père, les regards avaient changé. Quand j'ai appris qu'en Suisse, les hôtels cherchaient des cuisinières, j'ai pris mon baluchon et je suis partie. Rien ne me retenais ici. C'est ainsi que j'ai rencontré mon fiancé Eugène HEIZMANN.
- Merci beaucoup, votre récit était magnifique.
- Ce fut un plaisir de raconter mon histoire, j'espère vous revoir.
-Je reviendrai dans quelques années pour que vous me racontiez votre vie d'épouse, de mère ou même de grand-mère.
- Avec joie.
Voilà le premier chapitre de la vie de Magdalena MEYER. Dans quelques semaines, elle sera mariée et un nouveau chapitre de sa vie commencera.
(1) - Recensement de Turckheim de 1866 : Antoine vit avec ses trois enfants (Antoine, Odile et Madeleine) à Turckheim, il est précisé qu'il est ouvrier d'usine et indigent.